Par une belle journée ensoleillée [libre]

"Nous les femmes, ne disposons que de deux armes : le Rimmel et les larmes. Mais nous ne pouvons pas utiliser les deux en même temps ! "
Norma Jean Baker, alias Marilyn Monroe

Cela fait un an, jour pour jour que je suis sur l'Archipel de Sabondy et pourtant je n'ai pas avancé d'un iota dans ma recherche des pages du "Livre des Arts Célestes". Un an d’oisiveté sur une île aussi touristique que celle-ci a eu raison de mes économies. Maintenant je ne vis plus à l’hôtel comme dans le passé, mais dans un vieux café abandonné que j’ai découvert au bosquet 13. Bien sûr le quartier est plutôt mal famé, mais la porte du bistrot fermait à clef alors je m’y sens en sécurité.

Aujourd’hui, il fait beau. Un soleil radieux filtre entre les volets défoncés. Je me lève en vitesse et me prépare. J’enfile une tunique bleue outremer et une toge azurin sur laquelle sont brodées des fleurs de lys. J’agrémente le tout avec des talons aiguilles argentés, un long ruban safre dans les cheveux et des longs gants blancs. Il faut dire que je me suis cassé un ongle hier, hors de question que quelqu’un le remarque. Je récupére mes quatre trésors que j’avais laissés sur la table de nuit et les range dans ma besace d'un blanc nacré. Je prends le bouquet de fleurs qui se trouvent dans un vase sur le comptoir du bar puis je pars, fermant mon taudis à double tour.

Dans les rues, je marche d’un pas décidé en direction du bosquet 54. Je ne prête ni attention aux passants ni aux commerçants furieux qui m’insulte. Il faut dire que depuis quelques temps, à cause de ma restriction budgétaire, j’ai tendance à partir sans payer. J’arrive enfin devant un atelier d’enrobage. Je salue l’ouvrier puis discrètement je fais le tour du bâtiment. La voilà ! Je me retrouve devant la tombe de mon père. Une année s'est écoulée depuis qu’il nous a quittés. Je dépose les fleurs au pied de la croix et je me recueille. Au bout d’un moment je relève la tête et je prends un des œillets du bouquet. Je me retourne et le dépose délicatement sur l’eau. En regardant l’horizon, je murmure : "Elle est pour toi maman". Je sens ma poitrine se resserrer et les larmes monter. Je m’assois et me laisse envahir par le chagrin.

Me sentant enfin apaisé, je me lève et repart à travers les rues. Rien de mieux que la marche pour m’aérer l’esprit. Passant devant une vitrine j’aperçois mon reflet. Malheurs ! Les larmes ont fait couler le mascara. Quelle horreur ! Je ressemble à un panda ! Je file vite me cacher dans sous un porche et je constate le massacre grâce à mon poudrier. Ce n’est pas aussi grave qu’il me semblait. Allez ! On démaquille et on refait !
Alors que je m’apprête à attaquer le mascara, un jeune homme apparait dans le reflet du miroir. Qu’il est beau. Je me retourne il est là dans la rue. Au diable ma timidité ! Je vais l’aborder ! Je le suis, mais il marche de plus en plus vite. Il tourne dans une petite rue. Je m’apprête à en faire de même quand, comme surgie de nulle part, une équipe de charpentier portant une lourde poutre me coupe la route. Dès qu’ils furent passé je cours dans la direction par laquelle le jeune homme à disparut. Enfer et Damnation ! Il a disparu. Je m’avance un peu dans la ruelle mais rien. Elle est vide. Je fait demi tour lorsque quelqu’un me tape sur l’épaule.

Je m'apprête à pour me retourner quand j'entends un horrible grognement. C'était un bruit horrible, effroyable, inhumain. Frappé d'effroi, je suis paralysé. Je n'ose me retourner. Mon coeur bat la chamade. Je ferme les yeux. Ce sont, surement, mes derniers instants. Cette bête va surement me dévorer. "La vie est unique et sacrée". Cette sentence de ma mère me revient en tête. Je rassemble mon courage. Je ne vais pas me laisser tuer sans rien faire ! Je vais défendre chèrement ma vie. Je me retourne d'un coup.

Là, je vois une bête effroyable, l'image même que je me suis faite du diable : grand comme deux hommes, la peau grise comme la cendre, des dents pointues comme des poignards et des cornes sur la tête. Il attrape mon beau prince par la chemise et s'apprête à l'engloutir. Cette vision d'effroi me fait tomber à la renverse. Le démon ouvre la bouche, prêt à avaler le jeune homme. Une voix tonitruante retentit.


Je n'en reviens pas ! C'est le monstre qui a parlé. Est-ce donc réellement le diable ? J'avais entendu dire que les portes de l'enfer étaient situées sur l'île voisine des hommes-poissons, mais je croyais que ce n'était qu'une légende. Mais surtout que fait-il ici ? Est-il venu pour me chercher ? Est-il donc temps que je paye pour la mort de mes parents ? Mais pourquoi s'en prend-il au jeune homme ? Il projette alors le bel éphèbe puis se retourne vers moi. Il est effrayant. On le croirait directement sorti qu'un de ses livres d'horreur dont raffole ma tante. Il ne manque plus que du sang pour parfaire ce tableau d'effroi. Je ne sais que dire. Comment s'adresse-t-on au maitre de tous les vices ?


Une proie ? De quoi parle-t-il ? La proie de quoi ? De qui ? Le seul danger potentiel ici c'est lui. Ca y est, je comprends ! Il a surement l'intention de me dévorer ! "La vie est unique et sacrée", encore cette phrase qui raisonne dans ma tête. Je sais que je dois payer pour la mort de mes parents, mais pas maintenant ! Il faut que je me rachète avant. Je complèterai le "Livre des Arts Célestes". Je vais me battre ! Je dois survivre pour poursuivre le rêve de mon maitre, de mon père.

Mais comment vaincre le diable ? Je ferme les yeux, la solution doit être là, quelque part en moi. Je vois briller des étoiles. Elles dessinent un paon. J'ai trouvé ! Pour vaincre les profondeurs abyssales des enfers il faut utiliser les lumières divines du paradis, le "Livre des Arts Célestes". J'ai promis de ne plus jamais utiliser la magie. Je vais donc me battre à mains nues. Et ma manucure alors ? Et où frapper ? Il faut dire que ce n'est pas la surface qui manque ! "Un géant aux pieds d'argiles". Maintenant c'est une phrase de mon père qui me vient à l'esprit. Mon coeur s'enflamme. La chaleur se propage dans tous mon corps.


Je tourne sur moi-même et lui envoie un violent coup de pied dans le talon droit.

Mon pied heurte de plein fouet sa cheville. Cependant, elle ne se plie comme prévu. Au contraire, c'est ma propre cheville qui craque sous le coup. C'est comme si j'avais directement heurté une montagne, ce qui est, à peu de choses près, le cas. D'après son visage, le démon n'avait rien senti. Par contre, il a l'air furieux. En ce qui me concerne, je ressens une vive douleur, les larmes me viennent aux yeux. Mes quelques connaissances en médecine me laisse penser que je me suis brisé le pied. Bien évidemment, ma jambe ne supporte pas mon poids. Alors que j'allais m'effondrer au sol, le monstre m'attrape pas la gorge et me soulève dans les airs. Mon souffle se coupe. Je suis maintenant au-dessus de lui. Ma vue se trouble tellement que je pleure. Je ne distingue plus rien.


Je sens son souffle sur mon visage. Loin de sentir la charogne comme je le croyais, il était plein de relent d'alcool. Cette information me trouble. Pourquoi le diable se saoulerait-il. Et puis il a dit "Je te sauve la vie". De quoi parle-t-il ? De quoi m'a-t-il sauvé ? Je n'étais pourtant pas en danger. J'essaye d'articuler quelques mots pour lui demander des explications, mais aucun son ne sort de ma bouche. L'étau sur ma gorge se resserre. Mes poumons sont en feu et je sens quelque chose craquer en moi, surement quelques os superficiels. Je cherche de l'air, mais je n'en trouve pas. Je suffoque. Mon cerveau s'embrume. J'ai l'impression que mon âme me quitte. Mes oreilles sifflent. Le mastodonte dit quelque chose, mais je ne comprends rien. J'ai la tête qui tourne. Je suis sur le point de m'évanouir. C'est alors que je ressens un choc et que l'air rentre en trombe dans mes poumons. Chaque alvéole se gonfle comme un ballon de baudruche. C'est trop brusque. Je tousse. J'ai un gout âpre dans la bouche. Probablement un peu de sang. Un après l'autre tous mes sens me reviennent. En dernier arrive l'ouïe.


Je lève les yeux vers lui. Malgré son air furieux, ses traits semblaient s'être adoucit. Il semblait plus... humain. Je le dévisage. Je le vois différemment. Sa peau qui me semblait terne la première fois étincelle au soleil. Les zébrures sur son torse rappellent au reflet du soleil couchant sur la mer. Ses palmures sur ses mains et pieds ressemblent à un voile. Je n'irai jusqu'à dire qu'il est beau, mais il a un certain charme, disons bestial. Incapable de me lever, je me mets à genoux et je le regarde dans les yeux. Je suis certain que si ses yeux étaient des revolvers, il m'aurait tué sur le coup. De toute façon, s'il l'avait voulu, il l'aurait fait à l'instant. Je me sens plus calme maintenant. Peut-être que mon asphyxie à anesthésier mon cerveau, je n'en sais rien.


Je réfléchis sur ce qui c'est passé. Je ne me rappelle pas de tout mais réflexion faite il semble qu'il ne m'a jamais voulu de mal. En fait il semble plutôt que ce soit moi qui l'ai agressé. Je baisse la tête.


Je l'examine encore une fois. J'allais dire le mot famille, comme il en était usage, mais il avait plutôt l'air d'un voyageur ou peut-être même d'un pirate.


Mais cet homme semblait être mon total opposé. Peut-être préféra-t-il ne plus jamais avoir affaire avec moi ; ce que je comprends après mon attitude scandaleuse à son égard. Je me relève en m'appuyant sur ma jambe valide et je le fixe dans les yeux, espérant très fort qu'il me permette de me racheter.